Thursday, May 3, 2012

Et si … j’ai croisé les doigts

Dans ma tendre enfance, je dirais que j’étais plutôt un enfant très sage. Mes résultats scolaires étaient une vraie fierté pour mes parents (et pour moi aussi) et je m’impliquais très bien dans les trucs de culte et de foi. J’étais donc rarement sermonné, et très très très rarement battu.
Nous étions une famille pauvre, à la campagne. On mangeait à nos faims mais côté vestimentaires, j’avais presque rien : toujours le même habit et la même sandale en nylon pour le dimanche, trois ou quatre vêtements en tout et pour tout pour les autres jours plus un tablier pour l’école. J’imagine que les vêtements coûtaient très chers pour les campagnards, j’en obtiens un neuf (friperie plutôt) au plus une fois par an.
Les rares fois où j’ai été battu avec un bâton, un fois c’était pour avoir déchiré un habit de seulement 6 mois, une autre fois pour avoir manqué de respect à un raiamandreny, et une autre fois pour s’être battu avec un garçon plus fort que moi.

Croiser les doigts

Pendant les vacances, je me suis lié d’amitié avec un gosse de riche, qui était justement en vacances dans notre village. Mes parents ne voulaient pas de cette amitié, car ils considéraient le garçon trop âgé, trop turbulent, trop brutal, bref, une mauvaise influence. Un jour, cet ami m’a demandé de mettre des habits propres, plus respectables car ses parents arrivent dans notre village et ils voulaient m’inviter. J’ai donc pris secrètement un habit que je ne devais porter la première fois que le dimanche d’après pour le culte, et je suis parti secrètement le rejoindre. Je me suis changé dans des buissons et j’y avais caché mes habits sales.
En me voyant, il a tout de suite crié après moi :
- Je t’avais demandé de mettre des habits présentables, me disait-il, j’aurai honte de te présenter à mes parents avec ton accoutrement.
- C’est tout neuf, rétorquais-je, je ne les ai même jamais porté.
- Beurk, ils puent encore l’odeur de la fripe, disait-il. Tu n’est vraiment qu’un pauvre con!

Sur cet insulte, je l’avais giflé. Il me rendait la pareille et un combat commençait aussitôt. Moins d’une minute après, tous les enfants du village s’étaient rassemblés en spectateurs, y compris mes cousins / cousines. Malheureusement pour moi, le gars était trop fort et il m’a foutu une raclée. Quand les gosses ont vu que je ne faisais pas le poids, ils nous ont séparés. J’avais mal partout, j’avais l’impression que mes joues enflaient comme un ballon et que certains de ses coups étaient restés sur mon dos. Mais ce n’était pas ce qui me préoccupait le plus, mon problème était plus grave.
Mes vêtements neufs étaient déchirés et entachés de poussières, totalement irrécupérables. Et comme un malheur ne vient jamais seul, ceux que j’ai cachés derrière les buissons ont été volés.
Je savais que dès que je rentre, j’allais être puni sévèrement. Frappé à coups de ceinture ou de cravache, puis interdiction absolue de sortie jusqu’à la rentrée, ce serait le minimum. Une de mes cousines, comprenant ma peur, m’avait dit que pour éviter de se faire gronder, l’astuce c’est de mettre une feuille verte en dessous de la langue en rentrant. Elle m’assurait que cela marcherait. Je suivais son conseil, sans trop de conviction, mais au moins, cela avait réussi à écarter ma peur de rentrer.

Arrivé à la maison, mes parents, ayant déjà eu vent de la bagarre, m’attendaient au portail, sans cravache, sans ceinture, sans bâton, et avec visages sereins. Ils m’ont amené vers la douche, où un seau d’eau chaude m’attendait, chose qui est vraiment inhabituelle. Ils ne m’ont pas grondé ce soir là, même pas un petit sermon. La feuille en dessous de la langue a fait un effet. Ils ne m’ont pas grondé les jours d’après. Ils ne m’ont jamais grondé pour cette grosse bêtise.

Des années plus tard, ils ont parlé de cela entre adultes. Ils ont témoigné que, un jour, ils ont suivi une formation où l’on disait aux parents que frapper un enfant n’est pas toujours la bonne solution, et que parfois, même si les enfants font de grosses bêtises, montrer l’amour parental peut être meilleure remède que la punition. Ils ont suivi ce conseil et ont été satisfaits en constatant que je ne recommençais plus jamais à faire des choses en cachette ou à me battre avec quelqu’un.

Et dire que, pendant des mois, j’avais commencer à braver les interdits, étant convaincu que quel que soit le degré des bêtises que j’aurais fait, il me suffirait de mettre une feuille sous la langue et je ne serais point grondé.